Voilées ou pas, les Marocaines veulent plus que jamais être “tendance”. Quitte à jongler avec des codes sociaux de plus en plus conservateurs.
Vêtue d’un ensemble léopard (tunique et voile), une jeune femme avance fièrement sur les trottoirs du Boulevard Mohammed V, à Casablanca. Sur son passage, quelques regards masculins s’attardent un instant, sans qu’elle n’y prête attention. “Il y a quelques années, l’imprimé léopard était très mal vu, une femme ‘bien’ ne pouvait pas en porter”, assure Ilham Benzakour, journaliste du magazine féminin Citadine. Signe d’une certaine évolution des moeurs, le léopard a perdu toute valeur de provocation. Même Khadija, une quarantenaire mère de famille, arbore un foulard décoré du même motif. “J’achète mes foulards chez Chanel, Yves Saint-Laurent ou Dior. À près de 1200 euros pièce, ça finit par revenir cher !”, sourit-elle, en fouillant dans son sac. Un Louis Vuitton bien sûr. Les paradoxes n’embarrassent pas Khadija. “Je porte le voile depuis quelques années. Et je me sens mieux aujourd’hui que quand je portais des minijupes à 20 ans”, raconte-t-elle, assurant “qu’une femme doit se faire belle, d’abord pour elle-même et ensuite pour son mari”. Comme Khadija, de nombreuses Marocaines affichent volontiers leur retour à un certain conservatisme, sans pour autant abandonner une coquetterie toute féminine. “La civilisation actuelle est celle de l’apparence. On doit montrer qu’on est élégante, qu’on porte des vêtements de marque. Et les filles voilées participent aussi à cette tendance”, explique Assia Akesbi, psychologue. Les marques à tout prix, voici donc le credo de la Marocaine “fashion”, voilée ou pas. Surtout que depuis quelques années, l’engouement pour les griffes s’est (relativement) démocratisé. “Même une femme de ménage va mettre de l’argent de côté pour s’offrir les chaussures ou la robe dont elle rêve, quitte à les payer en cinq fois”, assure Ilham Benzakour. Ou à s’en acheter une contrefaçon.
La mode, une question politique
Pour la journaliste de mode, cette coquetterie est moins légère qu’elle en a l’air. “C’est parce qu’aujourd’hui les femmes travaillent qu’elles peuvent s’offrir ces vêtements. Cette question est en fait très politique”, souligne-t-elle, estimant que l’engagement royal pour l’émancipation des femmes a joué un rôle moteur dans cette évolution. Mais c’est aussi le développement de la presse féminine qui a “fait l’éducation” des femmes en matière de mode. Les franchises bon marché ont aussi permis aux Marocaines de rester “in” sans se ruiner. “J’achète presque tout chez Zara, Promod et Stradivarius”, confirme Hind, 24 ans, commerciale dans une entreprise de matériel informatique. Entre le coiffeur, l’épilation, le maquillage et la garde-robe, elle débourse un minimum de 1000 dirhams par mois pour se faire belle. Quant aux remarques des hommes sur son passage, elle les trouve souvent agaçantes, plus rarement flatteuses. La rue reste un terrain miné : “Je m’habille très librement parce que je me déplace en voiture”, avoue-t-elle. Sa sœur Fatima-Zohra, 18 ans, est étudiante en droit. Grande fan des jeans “slim”, elle enfile toujours une veste un tantinet trop longue, pour aller à pied à l’université, histoire de ne pas se faire “embêter” tous les cinquante mètres. Et il ne s’agit pas toujours de drague. “Il y a quelques années, on pouvait encore porter un débardeur dans la rue sans aucun problème”, raconte Sanaa, commerciale dans une agence de communication. Mais depuis qu’un homme lui a reproché, en pleine rue, d’avoir les bras découverts, elle a appris à les cacher sous une veste… alors que dans les années 70, sa mère portait des minijupes sans que cela n’émeuve personne. Aujourd’hui, c’est la nudité (toute relative) qui dérange : le jean moulant est l’uniforme de la Marocaine, rares sont les robes courtes dans les rues de Casablanca et Rabat. L’islamo-conservatisme est passé par là. “Le réinvestissement des valeurs conservatrices est plus identitaire que religieux, nuance cependant Myriam Cheikh, anthropologue. C’est une façade, un réajustement du discours plus que des pratiques”. Car la généralisation de la mixité reste l’évolution de fond : hommes et femmes se côtoient de plus en plus, au travail comme dans la rue. Les hommes commencent à s’habituer à la présence féminine dans l’espace public, même s’ils continuent à l’ausculter du regard ou à réprimander verbalement les demoiselles trop dénudées. Rien d’autre que le symptôme d’un mâle déboussolé par l’indépendance croissante, et irréversible, du sexe dit faible.
Source: TELQUEL