Le Beur, l’argent du Beur et les réseaux relationnels du Beur
L’Espagne a fait appel à 12.000 marocaines pour la cueillette de fraises et d’oranges en Andalousie. L’Agence Nationale pour la Promotion de l’Emploi et des Compétences (ANAPEC), l’intermédiaire dans cette opération, veut placer plus de travailleurs marocains légaux en Europe et les aider à transformer leur épargne en investissement. D’autre pays européens, d’ailleurs, telle l’Italie, devraient aussi puiser dans la main d’œuvre marocaine pour des travaux saisonniers.
Parallèlement, la 5éme édition des "Intégrales de l’investissement", (13 et 14 décembre à Skhirat), avait pour thème "Les investisseurs marocains du monde, acteurs de la diplomatie économique". Il est vrai que ce symposium vise une autre catégorie de marocains de l’étranger, mais il n’en demeure pas moins que la population émigrée dans sa globalité continue d’apporter un soutien socio-économique majeur au pays.
Elle constitue, à travers ses potentialités, un facteur de développement à valoriser, à condition de concevoir sa participation dans ses différentes dimensions.
Jeudi 6 décembre a commencé la sélection des 12.000 ouvrières marocaines qui devront aller Huelva, en Andalousie (Espagne), pour la saison de la cueillette des fraises et oranges, qui commence dans trois mois. L’ANAPEC, déjà intermédiaire dans l’opération de recrutement de l’année précédente, s’est mise d’accord avec les partenaires espagnoles pour que la sélection soit régionalisée et se fasse dans quatre villes. A Fès et concernera les régions d’Oujda, Tétouan et Errachidia, à Mohammédia pour Tanger, Béni Mellal et El Jadida, à Agadir pour Essaouira, Ouarzazate et Guelmim.
Les recruteurs espagnols sont venus personnellement prendre part à la sélection des ouvrières.
A partir du mois de février et pour trois à six mois, les travailleuses marocaines choisies seront employées dans les exploitations agricoles andalouses à cueillir fraises et autres fruits six heures et demi par jour, contre un salaire quotidien de 32 à 35 euros. Elles auront droit à un jour de repos par semaine, à l’assurance maladie et seront logées par leurs employeurs, qui prendront aussi en charge le transport de Tanger en Andalousie aller-retour.
Opportunités saisonnières
Trois critères de sélection, plutôt restrictifs, sont pris en considération, les deux premiers étant raisonnables, le troisième beaucoup moins. Les ouvrières devront être âgées de 18 à 40 ans, en bonne condition physique et d’origine rurale, l’expérience des activités agricoles jouant en faveur des candidates. Le deuxième critère est celui de la condition sociale, les plus pauvres seront privilégiées.
"Pour être sûr qu’elles rentreront au terme de leur contrat, les ouvrières doivent être mariées et mères de famille", indique Hafid Kamal, directeur général de l’ANAPEC, précisant que ces conditions ont été imposées par les Espagnols. "Il y a des risques que la saisonnière plonge dans la clandestinité une fois arrivée dans le pays d’accueil" explique t-il. Il s’agit, pour la partie marocaine, en acceptant lesdites conditions, d’"atteindre un taux de retour presque entier au Maroc pour encourager chaque année une demande croissante de main d’œuvre" de la part des pays employeurs européens.
La volonté du Maroc de voir les pays européens venir puiser dans son réservoir de main d’œuvre inemployée est manifeste. Ce ne serait que la juste contrepartie des efforts fournis pour juguler l’immigration clandestine.
Au cours de cette année, 12.440 tentatives d’émigration clandestines ont été empêchées. Le nombre de clandestins qui débarquent en Espagne depuis le Maroc a reculé de 32% par rapport à 2006 et de 91% par rapport à 2005.
Pour les responsables marocains, l’émigration légale doit désormais prendre le pas sur l’émigration clandestine. Le Maroc, qui doit prendre part aujourd’hui et demain au sommet UE-Afrique, qui aura lieu à Lisbonne (Portugal) et où sera débattu le thème de l’immigration, ne manquera sûrement pas de mettre l’accent sur ce sujet.
A ce sujet, il est à rappeler que le Maroc et l’Espagne ont déjà signé en 2003 un accord d’organisation de la migration des travailleurs nationaux vers le voisin du nord. Suite à quoi, l’Espagne a accueilli 1.200 ouvrières agricoles pour des travaux saisonniers en 2005 et 9.905 autres en 2007. En outre, un groupe hôtelier espagnole a recruté au début de cette année 2.000 personnes avec des contrats de cinq ans.
D’autres pays d’Europe ont emboîté le pas au voisin ibérique. Cette année, 400 saisonniers marocains ont travaillé en France. L’Italie a décidé de faire appel, l’année prochaine, à 4.500 marocains pour des activités saisonnières.
Le Portugal, la Grèce et le Canada ont exprimé aussi des demandes en la matière. L’objectif affiché de l’ANAPEC est de placer ainsi chaque année 20.000 travailleurs marocains.
Des transferts financiers salutaires
Ce qui est certain, c’est que les besoins de l’Europe en main d’œuvre iront en s’accroissant en raison des perspectives démographiques à la baisse du vieux continent, comme cela a été prouvé par plusieurs études onusiennes et européennes. Nonobstant le racisme en progression parmi les populations européennes et la concurrence de la main d’œuvre des pays de l’Europe centrale et orientale, dont les pays connaissent aussi un recul démographique, l’UE devra de plus en plus faire appel dans les années à venir à des travailleurs non européens.
Le Maroc, qui a des relations privilégiées avec le bloc communautaire outre méditerranéen, devrait exploiter au mieux celles-ci pour positionner sa main d’œuvre dans la compétition avec les autres pays fournisseurs.
Le poids des réalités impose aux responsables politiques de chercher des solutions provisoires et alternatives à son grave problème de chômage, qui est de 8% de la population active, compte non tenu du sous-emploi. Les programmes de réforme de l’appareil productif ou de promotion social autant que les grands chantiers à effets structurants, c’est-à-dire ayant un effet d’entraînement sur d’autres secteurs d’activités, tel le complexe portuaire Tanger-Méd, ne pourront absorber que progressivement le stock cumulé de chômeurs au Maroc. Les emplois agricoles saisonniers en Europe, contrairement à ce que l’on pourrait croire, peuvent non seulement constituer un gagne pain temporaire pour quelques milliers de ruraux défavorisés, mais aussi constituer, à travers l’épargne et un soutien des pouvoirs publics et des institutions financières spécialisées, un levier de l’auto emploi.
Avec ce travail saisonnier, les ouvrières arrivent à assurer un revenu annuel de 30.000 à 40.000 dirhams. Avec cette somme, certaines ont pu se lancer dans des microprojets leur permettant ainsi de dégager des bénéfices » souligne le directeur de l’ANAPEC.
Les Marocains du monde, c’est plus de trois millions d’âmes réparties sur les cinq continents, 80% en Europe, 40% en France, des transferts financiers qui représentent 8% du PIB, 40% des exportations, 80% du déficit commercial. Ces transferts se sont chiffrés à fin octobre 2007 à 46 milliards de Dhs, contre 39,4 milliards l’année dernière. Ils ont progressés de quelques 10% au cours des vingt dernières années. Selon une enquête menée par l’Institut National de la Statistique et de l’Economie Appliquée, 9 marocains résidants à l’étranger sur 10 ont déclaré envoyer de l’argent au Maroc. C’est dire l’attachement des Marocains à leur pays.
Réseau de consultants et lobbying
Le Centre Marocain de conjoncture estime que "les transferts financiers effectués par les Marocains résidant à l’étranger représentent un enjeu important pour l’économie marocaine, non seulement en tant que soutien au revenu des ménages, mais aussi et surtout en tant qu’apport supplémentaire en épargne et en tant que ressource essentielle en devises".
Autre aspect important, l’impact de ces transferts sur la baisse au Maroc du taux de pauvreté.
Les organisateurs de la 5éme édition des "Intégrales de l’investissement" voient plus loin que la seule dimension financiére de la participation de la communauté marocaine installée à l’étranger au développement du Maroc et visent de ce fait un genre particulier de MRE.
M Hassan Abouyoub, ambassadeur itinérant et président du comité scientifique du symposium, estime que le Maroc atteint "un degré de maturité économique qui exige davantage de compétences et d’expériences qu’incarnent les compétences marocaines qui ont intégré les grands systèmes économiques mondiaux".
C’est qu’au sein de cette communauté marocaine à l’étranger, fondée d’abord par des travailleurs en bonne partie sans instruction, on trouve de plus en plus de hauts cadres de grandes entreprises, dans les domaines les plus variés, parmi lesquels la finance...A la City de Londres comme sur d’autres places financières, des marocains occupent des postes de responsabilité et participent au processus de prise de décision en matière d’investissement ou au rating et à l’évaluation du risque pays.
L’objectif des organisateurs du symposium est double ; profiter du savoir et de l’expérience de ces compétences marocaines à titre de consultants et en faire des diplomates économiques, faisant mieux connaître le Maroc et ses potentialités dans les cercles influents de la finance internationale.
"La diplomatie classique a vécu" tranche M Abou Ayoub, pour qui la diplomatie économique ne saurait être assumée par les seuls pouvoirs publics. C’est donc à la constitution de réseaux d’influence et de diplomatie économique que les hauts cadres marocains à l’étranger sont invités.
Eviter les erreurs du passé
Jusqu’à présent, aucun département public n’avait pris la peine de recenser ses compétences, de les classifier et d’aborder les différentes perspectives de leur implication dans la promotion de l’image de marque du Maroc et le progrès socio-économique et scientifique.
Les participants aux différents ateliers du symposium de Skhirat auront donc à répondre aux questions relatives à la manière de faire appel aux compétences marocaines à l’étranger et les structures à créer pour parvenir à les exploiter au mieux.
Déjà, il est question de créer un réseau pour assurer le suivi des recommandations du symposium et la promotion économique externe du Maroc. Le futur Moroccan Investment Network sera donc composé desdites compétences expatriées et dirigé par cinq personnes choisies par les pouvoirs publics. Autre nouveauté institutionnelle annoncée, la transformation très prochaine de la Direction des investissements en une société anonyme. Il devrait venir renforcer à sa manière les organismes existants opérant dans ce domaine sans les concurrencer, a précisé M Hassan Bernoussi, président de l’association des "Intégrales de l’investissement" lors du point de presse consacré à la présentation de la 5éme édition.
Le Maroc a déjà tenté de promouvoir la participation des MRE à son développement économique autrement qu’à travers les seuls transferts financiers. L’expérience du Tokten et du FINCOME, exprimant le vœu des pouvoirs publics d’inverser les effets de la fuite des cerveaux, n’a pas encore donné de résultat probant.
Le Tokten est un programme lancé par le PNUD qui vise le transfert des connaissances et du savoir faire par les compétences expatriées. Il a été mis en œuvre une première fois en Turquie, en 1977, permettant à ce pays, classé actuellement parmi ceux dits émergents, de profiter, jusqu’en 1999, des compétences de 900 de ses cadres vivant à l’étranger. C’est aussi le cas, entre autres, de la Chine et de l’Inde, les prochains géants de l’économie mondiale, qui ont bénéficié respectivement de 1.690 et 470 de leurs experts expatriés.
Passant outre les difficultés linguistiques et culturels que rencontrent les experts étrangers auxquels font appel à grands frais les pays en développement, et vu le caractère non contractuel du programme, les compétences expatriées ont permis à nombre de pays de réaliser des progrès technologiques très significatifs.
Briser le signe indien C’est en 1990 qu’a été lancée le programme Tokten Maroc et la première rencontre a compté la participation de 170 chercheurs scientifiques et ingénieurs marocains expatriés venant de 13 pays. Un médecin chercheur marocain installé aux Etats-Unis nous avait déclaré, lors d’un entretien, à peu prés en ces termes : "Je suis très bien dans l’hôpital ou je travaille.
Chaque heure passée au Maroc représente pour moi de l’argent que je ne vais pas gagner.
Je suis prêt à me sacrifier pour mon pays et pour son progrès, mais uniquement si le résultat est probant. Si ce n’est pas le cas, je ne reviendrai plus !"
Il n’y a pas eu plus de deux rencontres, dans le cadre de ce programme, des compétences marocaines expatriées...Il a fallu attendre février 2007 pour voir naître le Forum INternational des COmpétences Marocaines à l’Etranger (FINCOME), instance qui se veut outil d’intermédiation et de mise en relation, pour renforcer l’implication et faciliter la participation des scientifiques et opérateurs économiques marocains de la diaspora au développement socio-économique tant éscompté. Pour les résultats, l’organisme étant nouveau, il faudra attendre un peu...
Ce constat pose la question de la capacité des pouvoirs publics à entretenir des relations spécifiques avec cette population émigrée, de manière à l’amener à participer plus activement et différemment au processus de développement. Cette année devait connaître la mise en place du Conseil Supérieur des Marocains Résidants à l’Etranger, comme l’avait annoncé SM Mohammed VI en 2006, lors du discours commémorant le 31éme anniversaire de la Marche Verte, déjà dans la perspective de rendre les MRE "partie prenante dans le vaste renouveau" que connaît le Maroc.
Il n’en a rien été et c’est encore une fois SM le Roi qui est venu sauver la situation, à travers un long passage de son discours inaugurant la nouvelle législature de la Chambre des Représentants, le 6 octobre dernier.
"La marche que Nous conduisons pour la démocratie et le développement exige des Marocains, autant qu’ils sont et où qu’ils se trouvent, qu’ils s’y investissent pleinement... C’est dans cet esprit que Nous avons décidé de créer pour (Nos chers citoyens résidant à l’étranger) un Conseil opérant auprès de Notre Majesté, jouissant de toute Notre sollicitude et remplissant les conditions de représentativité, d’efficacité et de crédibilité requises. Nous avons, à cette fin, chargé le Conseil consultatif des droits de l’Homme de rendre un avis consultatif sur la question".
Comme l’a prouvé l’expérience d’autres pays en matière de participation de la diaspora au développement du pays d’origine, ce dernier doit disposer des structures et programmes adéquats pour exploiter au mieux ses compétences expatriées. De 1995 à 2004, l’indice de l’économie du savoir a presque doublé, mais le Maroc demeure à la traîne en matière de recherche scientifique par rapport à la moyenne des pays de la région Maghreb-Moyen Orient.
Parmi les raisons invoquées, la faiblesse du potentiel humain affecté à la Recherche&Développement. Un cercle vicieux en quelque sorte, puisque ses compétences expatriées constituent autant de chercheurs potentiels dont la R&D nationale ne profite pas après que le Maroc les ait formés !
Source: lopinion,maroc